Nicolas de Staël, Portrait d’Anne de Staël, 1953
Huile sur toile
130 × 89 cm
Nicolas de Staël, Bateaux à Martigues, 1953-1954
Stylo-feutre sur papier
32 × 26 cm
Nicolas de Staël, Composition, 1946
Pinceau et encre de Chine sur papier
52 × 74 cm
Nicolas de Staël, Composition, 1949-1950
Plume et pinceau, encre de Chine et gouache sur papier
24 × 32 cm
Photographie de Jean-Louis Losi
Nicolas de Staël, Étude de Nu, 1952-1953
Pinceau et encre de Chine sur papier
41,4 × 53,7 cm
Nicolas de Staël, Table à palette, 1954
Fusain sur papier
145 × 104 cm
Photographie de Jean-Louis Losi

En 1939, Jeanne Bucher fait la connaissance d’un jeune peintre russe âgé de 25 ans, Nicolas de Staël. Ballotté par l’Histoire et marqué par des drames familiaux, il a déjà beaucoup voyagé avant de s’établir à Paris : il a ainsi fui la Révolution d’Octobre avec sa famille en 1919, a perdu coup sur coup père et mère dans les années qui ont suivi et a trouvé refuge auprès d’une famille bruxelloise, les Fricero, qui assument son éducation. Sa passion précoce pour la peinture le porte ensuite, contre l’avis de son père adoptif, à fréquenter les Beaux-Arts de Bruxelles, puis à voyager en France, en Espagne et au Maroc où il fait, en 1937, la rencontre de Jeanne Guillou, une artiste de cinq ans son aînée, qui quitte pour lui son mari. Les amants voyagent alors en Italie, puis s’installent à Paris où Nicolas travaille beaucoup, détruit presque autant, fréquentant quelques temps l’Académie de Fernand Léger. Engagé volontaire dans la Légion étrangère, il rejoint Jeanne à Nice après la démobilisation. C’est là qu’il fréquente de nombreux artistes comme les Delaunay, Arp et surtout Magnelli. Le couple survit grâce à la peinture de Jeanne, et accueille en 1942 une petite fille, Anne. C’est l’année suivante qu’ils retrouvent Paris, démunis, et se logent grâce à la générosité de Jeanne Bucher qui leur apporte son soutien et achète à Staël ses premiers dessins en 1943.

C’est en 1944 que Jeanne Bucher expose l’artiste pour la première fois, aux côtés de Domela et Kandinsky. La première exposition personnelle de Nicolas de Staël à la galerie se déroulera un an plus tard, en 1945 ; c’est alors que certains collectionneurs commencent à s’intéresser au travail de Staël, dont Jeanne Bucher écrit que « parmi les jeunes (…), il y a surtout Lapicque, Estève et Bazaine. J’aime le plus Lanskoy et Nicolas de Staël qui sont les plus abstraits, qui ne suivent ni Matisse ni Bonnard, ni même Picasso ». Car après des débuts figuratifs, de Staël est passé à des compositions abstraites dès 1942, marquées par une palette sombre qui n’aura de cesse d’évoluer, l’artiste poursuivant durant toute sa carrière une quête toujours plus personnelle. C’est ainsi qu’au fil des années 40 les couleurs s’éclaircissent, les pans se font plus larges, la pâte plus épaisse à la surface de la toile. L’artiste, naturalisé français en 1948, devient un peintre de plus en plus célèbre, dont les Américains s’arrachent les oeuvres que vend son marchand new-yorkais Rosenberg, entrantmême dans les collections du MOMA en 1951, un an après la première acquisition du Musée d’Art moderne à Paris. Jeanne, épuisée, est morte en 1946, mais le peintre a pu retrouver une stabilité affective auprès de Françoise, avec laquelle il aura 3 enfants. Son attention à la lumière est de plus en plus évidente, sa science de la composition conserve sa précision et sa production intense en font un des chefs de fil majeurs de l’abstraction européenne, au-delà des classifications réductrices de l’Ecole de Paris ou de l’art informel.

Pour autant, Staël se heurte à l’incompréhension lorsque la figure fait retour dans son travail : le fameux tableau des Footballeurs (1952), qui fait suite à un match auquel assiste l’artiste au Parc des Princes, lui vaut les foudres des tenants de l’abstraction qui ne lui pardonnent pas ce qu’ils considèrent comme un parjure. Fasciné par le jeu des couleurs et du mouvement sur le pré, Staël ouvre une voie qui renvoie dos à dos les deux tendances majeures de l’art de l’époque, en expliquant : “je n’oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative.” La musique joue également dans ces années un rôle capital dont témoignent des tableaux majeurs comme Les Musiciens, L’Orchestre ou Les Indes galantes. L’année suivante, en 1953, l’artiste s’établit dans la lumière de Ménerbes et voyage en Italie, dont il peint les couleurs éclatantes dans des toiles admirables qui figurent parmi ses plus célèbres (série des Agrigente). Ce voyage, il ne l’a pas entrepris seul, mais avec une femme dont il est tombé éperdument amoureux, Jeanne Polgue-Mathieu : les nus qu’il peint alors reflètent sa passion pour la jeune femme. C’est également dans ces années-là que l’empatement des toiles laisse place à une matière plus fluide, qui déroute à nouveau certains de ses admirateurs et collectionneurs, également interloqués par les nombreuses marines qui occupent l’artiste, cherchant dans un travail forcené un possible exutoire à un amour qui semble moins partagé par son égérie. La suite est connue, et a pris rapidement les accents de la legende : le suicide de l’artiste, qui se jette de son atelier d’Antibes, colore sa destinée sans occulter cependant une importance dans l’histoire de l’art qui va croissant.

Dès ses débuts à la galerie, sa rencontre avec l’art de Staël et sa « lumière irréductible à toute autre» avait bouleversé Jean-François Jaeger. Début 1958, un ensemble de 43 œuvres sur papier, fusain, lavis et encres de Chine, honore la mémoire de l’artiste décédé trois ans plus tôt.
Un grand nombre d’expositions monographiques seront par la suite consacrées à l’artiste, dont celles de la Fondation Maeght en 1972 et 1991, un vibrant hommage de la galerie à l’occasion des 30 années de sa disparition, lors de la FIAC 1985, et des rétrospectives importantes au Grand Palais en 1981, au MNAM en 2003 ou encore à la fondation Gianadda en 2010. Un Catalogue Raisonné de ses peintures sera publié en 1997, ainsi qu’un catalogue de ses œuvres sur papier en 2013, à l’occasion d’une nouvelle exposition par la galerie.

Lors de l’exposition Passion de l’Art – Galerie Jeanne Bucher Jaeger depuis 1925 au Musée Granet d’Aix-en-Provence en 2017, premièrerétrospective consacrée à la galerie, dont le co-commissariat fut assuré par Véronique Jaeger, des œuvres essentielles de l’artiste sont présentées, témoignant de sa présence régulière dans nombre d’expositions de la galerie.

En 2023-2024, le Musée d’Art Moderne de Paris, en partenariat avec la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, consacre une exposition rétrospective à Nicolas de Staël, à laquelle la galerie contribue par des prêts significatifs.