02.03.2024 — 13.07.2024

Enchan-Temps : Le Souffle d’Ici – L’Eau de là

Susumu Shingu

Espace MaraisParis

Ce que Shingu relance ainsi, à sa manière, c’est la recherche du mouvement perpétuel, à travers les lois des poids et contrepoids animés par le vent. Consignée sur de nombreuses pages de ses carnets mêlant croquis et notes, son obsession du mouvement perpétuel, intimement liée aux flux avec lesquels il travaille (l’air, l’eau), fait immanquablement écho à celle qui hante nombre de feuillets des codex de Léonard de Vinci : même fascination pour les flux naturels, inventions analogues de mécanismes rigoureux pour les machines projetées, recherches comparables autour des vis, ellipses et autres figures giratoires susceptibles de lancer ou d’accueillir un mouvement initial propre à mettre en branle la grande machine du monde, le moteur universel qui ne connaîtrait plus d’arrêt. Certes Shingu profite des découvertes de Newton, il connaît le pendule de Foucault, il pourrait même bénéficier des avancées décisives de la physique atomique ; reste que son rêve n’en demande pas tant, ou beaucoup plus : il s’agit, comme Léonard, de conserver une attention enfantine au monde, c’est-à-dire une curiosité que requièrent toutes les épiphanies minuscules, et d’inventer à partir de là ce qui n’a pas de prix. Comme le vol d’un oiseau, ou celui d’une sculpture rivée au sol, en se jouant de la pesanteur. Car c’est bien ce que font ses machines venteuses : elles existent précisément à la jonction du poids et de la vaporisation, de la chute et de l’équilibre, de la prédation et de l’esquive (…)

– Yannick Mercoyrol, Comme des pales de douceur. Susumu Shingu, in INTENSITES, 12 artistes aujourd’hui, Editions l’Atelier contemporain, février 2023

L’exposition Le Souffle d’Ici – L’Eau de là de Susumu Shingu est le troisième volet d’un cycle d’expositions présentées en 2023 et 2024 intitulé ENCHAN-TEMPS. Elles témoignent de l’engagement de la galerie à l’égard d’artistes en lien avec une certaine « Renaissance artistique », révélant profondément dans leur travail des valeurs universalistes, sociétales, environnementales et pacifiques. Des artistes qui créent avec le site, l’environnement et les éléments, en intégrant à la fois l’humain, l’histoire, la mémoire, le fil des saisons et notre temps présent… Leurs œuvres se déploient dans le droit fil de la vision d’artistes tels que Giacometti, Brancusi, Noguchi, Klee… dont certains ont été promus par la galerie dès l’origine.

À la fois peintre, sculpteur, chercheur et philosophe de la nature, Susumu Shingu est considéré aujourd’hui comme l’un des artistes les plus importants de la scène contemporaine japonaise ; ses sculptures d’eau et de vent, souvent monumentales, ont été installées dans le monde entier au cours des 40 dernières années.

Initialement formé à la peinture au Japon, Susumu Shingu se rend à Rome au début des années 60, fasciné par l’art de la Renaissance, notamment par Piero della Francesca et Leonard de Vinci, et par la pluridisciplinarité de ces artistes polymathes, à la fois peintres, sculpteurs, architectes, scientifiques ou ingénieurs… La tridimensionalité lui est révélée par un heureux hasard : alors qu’il suspend l’une de ses peintures à un arbre afin de la photographier, une légère
brise se met à l’animer. Les énergies naturelles (le vent, l’eau, la lumière, la gravité), leur beauté tout comme leur imprévisibilité seront désormais au cœur de son processus de création.

Grâce à quelques rencontres décisives, Susumu Shingu déploie peu à peu son vocabulaire de sculpteur, empreint de poésie et de technicité, de contemplation et d’humanisme. Aspirant à toujours plus de légèreté et d’harmonie avec la nature, l’artiste fait évoluer ses matériaux au fil du temps. S’émerveillant de l’infinie variation des formes naturelles, Susumu Shingu n’a de cesse d’en recueillir les précieux enseignements, tentant de donner forme à l’insaisissable, à la profondeur et la fugacité du souffle universel.

La nature environnante est une source constante d’inspiration dans ses mouvements les plus variés et j’y puise, aujourd’hui encore, des principes toujours nouveaux. Plus j’observe cette nature, plus grand est mon ravissement, et lorsque l’œuvre achevée se met à s’animer, reliée aux énergies de la nature, j’y vois comme la naissance d’une nouvelle vie, et c’est alors que ma joie atteint sa plénitude. Cette Terre – notre planète – est pour moi une demeure pleine de charmes mystérieux où je trouve d’inépuisables trésors pour ma création.

– Susumu Shingu

La Caravane du Vent, créée en 2000, fait voyager 21 sculptures en 6 endroits du monde, choisis par l’artiste pour leurs vents emblématiques, leurs climats extrêmes, leur nature vierge et leurs populations préservées : les rizières de Sanda au Japon (juin 2000), l’île inhabitée de Motukorea en Nouvelle-Zélande (novembre 2000), le désert rocailleux de Tamdaght au Maroc (avril 2001), la steppe verte d’Undur Dov en Mongolie (juin 2001) et les dunes de Cumbuco au Brésil (novembre 2001). Lors de ce périple d’une année, l’artiste et son épouse prennent le pouls de la planète auprès des Maoris, des Mongols, des Samis, des Berbères…

En 2006, la galerie consacre une première exposition à l’artiste, Sculptures du respir, suivie de Planet of Wind and Water en 2009 ; l’artiste y présente le diorama de son projet Breathing Earth, un village autosuffisant alimenté par les énergies naturelles du vent, de l’eau et du soleil ; un lieu d’inspiration, d’échange et de création pour les artistes, les scientifiques, les enfants… Ce projet fit l’objet du film Breathing Earth – Susumu Shingu’s dream, par le réalisateur Thomas Riedelsheimer, rencontré en 2006 à la galerie.

La qualité intrinsèque de l’œuvre de Susumu Shingu, qu’elle soit destinée pour l’intérieur ou l’extérieur, est d’être à la fois profondément terrestre et humaine tout autant qu’en rotation permanente dans le Vide, telle une Galaxie qui se déploie. Terrestres, elles le sont par la multitude des formes, des couleurs et des mouvements qui les caractérisent et dont regorge notre planète ; humaines, par l’allure particulière qu’elle incarnent leur conférant à chacune un caractère androïde spécifique. Galactiques, car leur grâce et leur mouvement lent et précis, entre en jeu avec les orbites de l’air, de l’eau et de la lumière, et nous fait ressentir l’infime mesure de l’Espace-Temps. Se jouant de la gravité et mues par le souffle des éléments qui lui procurent sa chorégraphie, ces sculptures se déploient dans un équilibre et une osmose parfaite entre Matière et Vide, tels des vaisseaux spatiaux technologiques cherchant à rentrer en profond dialogue avec Dame Nature.

– Véronique Jaeger, Vaisseaux terrestres, catalogue de l’exposition SPACESHIP de Susumu Shingu, Mudam Luxembourg, 2018-2019

 

En écho à l’exposition Au-delà du Temps à la galerie en 2012 et dans le cadre d’un Hors les Murs FIAC, son œuvre Sinfonietta of Light, ballet aérien de dix paires d’ailes animées d’eau et de vent, est installée dans le grand bassin octogonal du Jardin des Tuileries à Paris. En 2014, son Musée du Vent est inauguré au sein du Parc Arimafuji de Sanda au Japon, véritable écrin naturel où l’artiste réside et travaille, entre Osaka, Kobé et Kyoto. Douze de ses sculptures y sont installées, en particulier l’emblématique sculpture-éolienne Satoyama. En 2018, l’exposition Cosmos se déroule à la galerie conjointement à l’exposition Spaceship, au Mudam Luxembourg qui met à l’honneur l’artiste mondialement consacré, à travers une exposition inédite en Europe présentant une quinzaine d’œuvres dont La Caravane du vent.

Lors des célébrations en 2019, des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci et du début de la construction du château, le Domaine national de Chambord, à l’initiative de la galerie, lui consacre à son tour une exposition d’envergure : Susumu Shingu, une utopie d’aujourd’hui.

Chambord n’est pas seulement fait de pierres, mais aussi d’air. La pierre respire et se reflète dans l’eau. Tout est immobile sauf les reflets. Et alors Shingu donne le mouvement. Avec ses sculptures dans l’eau et le vent aussi mystérieuses et légères que la silhouette du château.

– Renzo Piano

La dimension écologique de sa création trouve un écho parfait dans un domaine pleinement dédié à la nature ; à l’image du maître florentin, Susumu Shingu est habité par la question des flux et du mouvement perpétuel. En amont, il réalise de nombreux dessins préparatoires et esquisses. On y retrouve le même souci du détail, l’attention aux formes et matériaux ainsi qu’une dimension onirique essentielle. Dans l’exposition se trouve également présenté le grand œuvre de Susumu Shingu : Atelier Earth, la maquette de son village utopique subsistant à partir des énergies naturelles. Centre artistique et culturel, ce village, en partie imaginé pour les enfants, leur permettrait de découvrir l’art à travers leurs cinq sens. Un lieu où l’on puisse réfléchir à l’avenir de la Terre, en lien avec les artistes, musiciens, écrivains, universitaires, philosophes, ingénieurs et scientifiques du monde entier écrit Shingu. En 2024-2025, ce projet rêvé et porté par l’artiste depuis des années devrait être inauguré dans le Parc Arimafuji, accueillant déjà son Musée du vent.

Susumu Shingu ne se limite pas à un seul champ d’expression artistique, il explore aussi l’univers de la création théâtrale : dès les années 90, il écrit et met en scène Kippis et ses amis (Kippis and his friends) autour de son Arbre d’Eau (Water Tree). La pièce conte l’histoire d’extraterrestres découvrant la Terre et questionnant le sens de la présence humaine. L’artiste est aussi célèbre pour ses nombreux ouvrages animés pour enfants, publiés chez Gallimard Jeunesse. Reflets d’inspirations profondes perçues au sein la nature, ces livres sont de véritables invitations au voyage, parfois placées sous le regard de sa mascotte marionnette Sandalino.

Son cheminement artistique est ponctué de fréquentes collaborations avec des créateurs de renom tels qu’Issey Miyake, Jiří Kylián, Tadao Ando, et surtout Renzo Piano. Une réelle complicité créatrice naît au fil du temps entre les deux artistes : en 2016, trois sculptures de Susumu Shingu sont installées au Centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos d’Athènes, conçu par Renzo Piano. L’architecte inaugure en octobre 2021 une tour résidentielle avec une vue panoramique surplombant l’Hudson dans le quartier de Soho à New-York, avec une nouvelle sculpture de Susumu Shingu, Rainbow Leaves, marquant la dixième collaboration des deux hommes. De juillet à septembre 2023, le Musée d’Art Nakanoshima à Osaka rendait un vibrant hommage au dialogue et à l’amitié des deux créateurs, à travers une exposition intitulée Vies Parallèles.

Pour cette cinquième exposition à la galerie, la première en France depuis 2019, Shingu présente quatre nouvelles sculptures. Reflection of Rainbow est sans doute la plus spectaculaire : dans la veine de ses grandes sculptures d’eau, cette œuvre est animée d’un mouvement perpétuel agencé par les multiples retombées liquides qui mettent en branle les éléments de la sculpture, selon une mécanique aussi précise que fluide. Cet art consommé mariant la technique de l’ingénieur à l’imaginaire artistique se retrouve dans les mouvements aériens de La Pace, qui persiste à glorifier la face lumineuse d’un monde serein et apaisé, malgré tout. Car les créations de Shingu ne pèsent ni ne posent, à l’image d’une aile d’oiseau qui serait évoquée dans cette autre sculpture de vent, Catch and run, alors que la plus récente des oeuvres du maître japonais, son Menuet, rappelle que le vol est sans doute l’état le plus proche de la danse, et de la musique… Ces quatre nouvelles sculptures répondent dans l’exposition à un ensemble d’œuvres plus anciennes, caractéristiques de l’art subtil de l’artiste : des épanchements aériens blancs ou jaunes, ou encore ce Petit Bois formé de tiges graciles qui oscillent légèrement à la moindre brise. Cet ensemble sera également accompagné de dessins, croquis et études qui montrent le processus créatif de Shingu, et sa manière singulière de déployer dans l’espace la bidimensionalité des esquisses.