Maria Helena Vieira da Silva s’est très tôt familiarisée avec l’art grâce à son grand-père, fondateur du journal lisboète O Século. Après des études à l’Ecole des Beaux-arts de Lisbonne, elle quitte son pays natal pour Paris, en 1928, où elle poursuit sa formation à l’Académie de La Grande Chaumière, suit les cours de Fernand Léger, de Bourdelle ainsi que ceux de l’Académie Ranson. Elle rencontre à cette époque son futur mari, le peintre hongrois Árpád Szenes. Initiée aux nouveaux courants artistiques de l’Impressionisme, du Futurisme et Cubisme ainsi qu’à la sculpture, elle se consacre, dès 1929, essentiellement à la peinture, et cherche son propre style, par le regard et l’expérimentation, revendiquant de ne vouloir appartenir à aucun courant précis. Les recherches spatiales de l’Ecole de Sienne ainsi que la perspective l’enthousiasment tout comme la découverte de Cézanne et ses Joueurs de cartes dans leur continuité spatiales qui lui donnent « la clef pour passer derrière le mur apparemment sans issue ». La collaboration avec Jeanne Bucher débute en 1933, avec la parution de l’édition Kô & Kô. A cette époque, Vieira da Silva s’intéresse à des perspectives inhabituelles construites autour d’un point de fuite où l’espace joue un rôle primordial. Elle va ensuite le construire par la couleur et les formes en losanges, rappelant les azulejos portugais, créant un réseau structuré « où les personnages se promènent, montent, descendent » dans une maille spatiale. Elle entend par la perspective, « parvenir à suggérer un espace immense dans un petit morceau de toile » en créant un espace propre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Vieira da Silva et son mari partent au Portugal, puis s’exilent au Brésil, avant de rentrer à Paris en 1947. A son retour, l’Etat français initie une politique d’acquisitions de ses œuvres. Naturalisée française en 1956, Vieira da Silva a reçu de nombreux prix, tant portugais que français, dont le Grand Prix National des Arts en 1966. Elle est ensuite nommée Chevalier de la Légion d’honneur en 1979 et reçoit la Grande Croix de la Liberté au Portugal dans les années 80.
Les perspectives infinies de ses compositions se lisent toujours comme la manifestation d’une essentielle exploration de l’espace, de ses recoins et de ses liens, qu’ils soient intimes comme des chambres ou lointains comme des couloirs étirés. À partir d’une convergence de lignes tissées en réseaux, elle invite l’œil à identifier des images émergentes puisant leur source dans ses souvenirs et son sens intuitif du motif et du rythme. L’espace psychologique que crée cette représentation fragmentée de la réalité capte la façon dont l’esprit retient et remodèle les souvenirs : il ne renvoie pas seulement à sa vie à Paris, mais aux expériences sensorielles de son enfance à Lisbonne, célèbre pour ses rues pavées de losanges, la calçada portugaise. Bien qu’elle entretienne un sens de la profondeur de l’espace et des perspectives au moyen d’une structure et d’un ordre sous-jacents, Vieira da Silva se plaît à brouiller la frontière entre représentation et abstraction, de sorte que les surfaces évocatrices de pièces, de maisons, de gares connues, de ponts traversant ou de vues urbaines aériennes ne décrivent jamais totalement un seul lieu ou panorama, mais un enchevêtrement de lieux visités. Vieira da Silva peint certainement son étonnement d’être un être vivant, de bouger, de persévérer, de s’ouvrir à la lumière et à l’échange avec tout ce qui l’entoure. Dans la croissance des tissus organiques de ses tableaux, où les lignes se croisent et se recroisent, elle découvre toujours de nouvelles issues de lumière, ce vide/plein, cette destination de présence inconnue qu’elle explore depuis le début de son œuvre et, plus particulièrement, dans ses œuvres des années 70 à 90, où une trajectoire ascensionnelle se fait plus évidente, comme si notre vie s’apparentait à un chemin de traverse dont on était soi-même l’architecte, l’ingénieur et le concepteur, évoluant au sein d’une réalité où la multiplication des points de vue fait vaciller les certitudes au gré d’un parcours labyrinthique où l’artiste est seule détentrice du fil d’Ariane. Son incertitude devient une certitude où ce qui la guide est l’innovation et l’exigence d’une quête métaphysique et spirituelle profonde. Les toiles des dernières années se libèrent de toute structure comme pour mieux sonder la lumière, cette clarté lumineuse qui se trouve au-delà du miroir de la vie.
Vieira da Silva décède à Paris en 1992, deux ans après la création de la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne et juste avant l’inauguration du Musée qui abrite ses œuvres et celles de son mari. L’artiste sera fidèle, promue et défendue toute sa vie et encore aujourd’hui par la Galerie Jeanne Bucher Jaeger : Jeanne Bucher l’a fait connaître à ses débuts, Jean- François Jaeger a assuré la promotion de l’oeuvre de 1947 à 2003, et, depuis 2004, sa Présidente Véronique Jaeger, ayant été notamment co-commissaire des expositions commémoratives des dizième et vingtième anniversaires de la Fondation lisboète, poursuit cette mission en participant depuis 2004 à d’innombrables expositions, tant en France qu’à l’International. Exposées dans le monde entier, ses œuvres figurent aujourd’hui dans les collections des plus grandes institutions et Fondations privées internationales ; aux États-Unis, celles du MoMA (premier acquéreur de son œuvre) et du Guggenheim à New York, de la Phillips Collection à Washington, du San Francisco Museum of Modern Art et de l’Art Institute à Chicago ; en France au Centre Pompidou-Mnam et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, des musées de Dijon, Marseille, Colmar, Nantes, Metz, Rouen, Lyon, Grenoble, du Musée Stedelijk à Amsterdam, de la Tate Modern à Londres, de la Gulbenkian à Lisbonne, du Musée de Bâle en Suisse… En 2019, la galerie conçoit avec deux confrères une exposition itinérante historique entre Paris, Londres et New York. En 2022-2023, dans le cadre de la Saison-France Portugal, le musée des Beaux-Arts de Dijon et le musée Cantini de Marseille, en partenariat avec la Galerie Jeanne Bucher Jaeger, organisait une rétrospective intitulée Vieira da Silva, L’œil du Labyrinthe ; cette rétrospective rassemblait plus de 80 œuvres iconiques dans le cheminement de l’artiste, provenant d’institutions prestigieuses.
En 2023-24, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, en collaboration avec la Fondation Árpád Szenes – Vieira da Silva à Lisbonne, organise, pour la première fois au Maroc, une exposition majeure dédiée au couple Maria Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes, intitulée Une histoire d’amour et de peinture. Dans le cadre des commémorations du Cinquantenaire de la Révolution des Œillets au Portugal, Vieira da Silva est choisie par l’Etat Portugais comme la figure artistique officielle symbolisant la notion d’universalisme et de liberté. Une exposition intitulée A nos a Liberdade (A nous la Liberté), rassemblant une trentaine de peintures majeures, est inaugurée le 23 avril 2024 au Palais Sao Bento de l’Assemblée de la République à Lisbonne jusque fin juillet 2024 : on peut notamment y voir les deux œuvres réalisées par Vieira da Silva avec Sophia de Mello Breyner Andresen intitulées A Poesia esta na rua (la Poésie est dans la rue) célébrant la Révolution des Œillets. La Galerie Jeanne Bucher Jaeger organise une présentation d’œuvres majeures à l’occasion d’Art Paris début avril 2024, et le Théâtre de la Ville de Paris présente une quinzaine de reproductions de peintures essentielles de Vieira da Silva, placées dans l’entrée du Théâtre durant près d’un mois, à l’occasion des commémorations de la Révolution des Œillets rendant ainsi hommage à une artiste ayant toujours placé les valeurs de liberté et d’universalisme au cœur de son œuvre.
En 2024-25, Maria Helena Vieira da Silva est présentée dans l’exposition InformELLES: Women Artists and Art Informel in the 1950s/60s à Hessen Kassel Heritage, Kassel en Allemagne.