(…) Evi Keller a ceci en partage avec les plus rigoureux aventuriers des espaces qui bordent les confins de notre monde habituel – avec les mystiques, poètes-voyants, peintres-coloristes extatiques, ou encore musiciens au diapason de la rumeur vivante des étoiles : une infatigable fidélité à un élan originel. Qui, loin de s’affaiblir, est au contraire incessamment relancé au fil de l’œuvre, au gré des années et des mutations.

Voici un fond bleu – le bleu incandescent d’on ne sait quel palais de pierreries, quelle grotte scintillante – où se nouent, s’embranchent dix, cent, mille ramifications blanches. Intrication, vides, pleins : intuition de l’être substantiel de la matière, avec ses liaisons chimiques, ses densités variables. Intuition de la consistance intime des choses, animées ou non. Ailleurs, à l’extase céleste et minérale des bleus, se substitue l’onde enveloppante, chaude, voire brûlante, de la pierre et de la terre où couve, s’épanouit et travaille (comme le forgeron travaille dans son atelier) le feu des profondeurs : mordorures, soleil sanglant, éruption. Bouleversants témoignages d’un art qui capture et libère l’éblouissement lumineux. « Bouleversants », car on en a l’intime, l’inextirpable conviction : au-delà des enchanteresses festivités de l’œil, au-delà de la danse des couleurs et de la musique des éclats, une annonce nous est faite. Quelque chose nous est dit – dans la langue de ce qui ne saurait se dire par la langue. Quelque chose est énoncé – dans ce qui ne saurait se réduire au prosaïsme d’un énoncé. Prenons donc les deux descriptions qui précèdent pour emblème : les œuvres d’Evi Keller, c’est l’éclat d’une révélation à propos de l’être substantiel de ce qui est.(…)

LA LUMIÈRE RÉVÉLÉE, Damien Aubel, Catalogue de l’exposition Matière-Lumière, Maison Caillebotte, 2025.