Les réflexions toujours plus larges sur l’éphémère, la nécessité, la précarité, l’utilité, la vérité, l’ambiguïté, le temps, la lumière, le lieu, l’espace, la forme, le matériau, le volume, le vide, l’autonomie, l’identité, la légèreté, la lévitation et la pesanteur se combinent indéfiniment, générant les questions qui sont à la source de ce qui deviendra sculpture. En ressentant que chaque élément rend l’autre nécessaire, je suis peut-être proche de quelque chose qui vaut la peine d’être poursuivi quoique le nécessaire doit être continuellement redéfini. En 1992, quitter New York pour Düsseldorf fut un acte délibéré. Vivre et travailler à Paris depuis 1994 continue d’être une redéfinition de la nécessité. Les carnets accumulés dans mon atelier au cours du temps sont remplis de mots, de pensées, de titres, de phrases annotées, de signes de ponctuation mais rarement d’esquisses. Les dessins apparaissent dans l’espace en trois dimensions avec les matériaux à portée de main. Ils sont le point de départ de la sculpture à venir. La sculpture doit à la fois maintenir l’immédiateté du dessin et faire oublier son origine. C’est un rapport essentiel entre la maîtrise et les circonstances hors de mon contrôle.
Paul Wallach
La galerie est heureuse de consacrer une nouvelle exposition personnelle à Paul Wallach dont elle soutient le travail depuis 2008. Cette exposition, intitulée Yielding Place, fait suite aux trois précédentes expositions personnelles de l’artiste à la galerie et aux nombreuses présentations de son œuvre par des institutions européennes et américaines.
Cette nouvelle exposition de Paul Wallach présente une sélection d’œuvres récentes réalisées à la lumière, et l’ombre, des événements traversés par le monde depuis le début de la pandémie en 2020. L’artiste fut particulièrement touché par ce vacillement, dans sa sphère intime, existentielle, mais aussi en tant que citoyen américain, affligé par la situation dans son pays, notamment au cours du printemps 2020. Alors que la couleur affleurait parfois à la lisière de ses œuvres, l’artiste fut appelé, pour ces créations nées au cœur du chaos, par l’impérieuse nécessité du blanc, et de ses infinies nuances. Retour à l’Essence, à l’Espace et au Silence. Simplicité originelle. Recueillement, et Renaissance.
The old order changeth, yielding place to new
Ce vers d’Alfred Tennyson traverse ses dernières créations, il lui inspira le titre d’une oeuvre : Yielding Place, au centre de l’exposition, la fois autel à la mémoire d’un monde à jamais transformé et ode à l’effacement pour re-cueillir l’altérité. La vulnérabilité d’une fine branche sans feuilles tenue par une entité coulée en plomb, ses racines frêles et vibrantes semblant tout juste sorties de terre. C’est la première fois que Paul Wallach convoque l’arbre, et sa branche, dans un geste hautement symbolique. La forme pure de la pyramide, et ses lignes de fuite, présentes dans cette composition, ponctuent l’exposition, nous menant toujours vers Plus Lointain, titre que l’artiste donne à une œuvre portant l’empreinte de ses doigts, assemblage de blancs sur blancs, dont les contours semblent émerger du mur, pour mieux s’y effacer. Effacement présence.
L’exposition s’ouvre avec l’œuvre N’a de fin, sans début ni fin, du sol au plafond, de la terre au ciel, tenue simplement par un fil lesté par deux éléments d’acier qui, aléatoirement, au gré du souffle, se frôlent en un tintement silence. Cette Madeleine que l’artiste avait imaginée pour la Chapelle de Pluméliau (l’Art dans les Chapelles, 2015, Palais de Tokyo, Choices 2016, commissaire : Laurent Le Bon), nous revient alors en mémoire, ce son pur généré par l’œuvre elle-même se diffusant dans l’espace, et le temps, suspendus.
N’a de fin, fut réalisée, dans sa première version, en 1993, puis détruite par la tempête du 26 décembre 1999, alors qu’elle était de retour dans l’atelier de l’artiste à Paris, après avoir été exposée à Cologne. Toit de l’atelier arraché par la violence du vent, œuvre disparue, avec tant d’autres. Près de 15 ans après, Paul Wallach imagina en créer une nouvelle version pour l’exposition que le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne lui consacrait en 2014, mais, de cette intention initiale, une autre œuvre pris forme. La forme de l’être. Née du désastre.
Alors que l’épidémie ébranlait le monde dès mars 2020, N’a de fin rappela l’artiste une ultime fois. Mémoire, et Miroir.
Mirror Mirror (2021) entre en résonance de l’œuvre achevée inachevée dans l’espace de la galerie. Le miroir de part et d’autre de l’œuvre, devant et derrière, ce qui se livre et ce qui se dérobe à la vue, dans une inclinaison qui ouvre au regardeur une perspective normalement impossible à cerner. Comme s’il nous invitait à ce Venez et Voyez.
À cette Lumière pure qui, de l’autre côté du miroir, émerge sur le mur. L’Aura à l’oeuvre.
Récemment Paul Wallach fut invité à créer une installation monumentale clôturant le cycle d’art Kunstprojekt Krauthügel initié par la Salzburg Foundation à la suite d’Anselm Kiefer, Mario Merz, James Turrell, Anthony Cragg et Jaume Plensa … Inaugurée en 2018 et exposée jusqu’en 2024 à Salzbourg, l’œuvre imaginée par l’artiste, Down to the ground, est une immense étoile à quatre branches tombée du ciel au cœur du paysage. Si Paul Wallach a changé d’échelle de travail, il continue de sculpter ce qui ne tient dans sa main : l’air, sa contenance et son volume, puis dans le cas présent, la faune et la flore autour de laquelle le dessin sculptural vient s’apposer sans trop contraindre, sans occulter. Il vient galement sculpter l’attente (…) (Laëtitia Bischoff).
Paul Wallach (1960, États-Unis) fait ses premières armes au contact du sculpteur Mark di Suvero, auprès duquel il vécu et travailla comme assistant pendant trois ans à New York. Il séjourne deux ans à Düsseldorf, en Allemagne avant de s’installer à Paris, durant les années 1990, où il poursuit le développement de sa très particulière conception de la sculpture. D’un vocabulaire tôt fixé, celle-ci opte pour la légèreté, la prudence à l’égard du monumentalisme, l’hétérogénéité, un rapport en tension à l’espace (Paul Ardenne).
Si les constellations tri-dimensionnelles de l’artiste naissent d’arrangements organiques et sensibles de différents matériaux, sa matière première reste le bois, medium originel, vivant et sensuel, se transformant au fil du temps, rappelant l’incertitude, l’éphémère et la vulnérabilité de l’état naturel d’existence. Il y a une réflexion latente sur les processus temporels, sur la temporalité en général, en tant qu’autre plan de pensée, qui n’est ni spatial, ni matériel (Lóránd Hegyi). Depuis sa tendre enfance, voyant en chaque arbre une sculpture l’état brut, Paul Wallach a développé une connivence intime avec le bois, qu’il utilise sous forme de tasseaux et de planchettes, qu’il transfigure, dans un assemblage intuitif avec le tissu, le plâtre, la ficelle, plus rarement le métal, en un système complexe de signes, de mystérieux et énigmatiques fragments d’une vérité poétique.
Dans ces sculptures en apesanteur, ciselant l’air, l’espace et le temps, ces sculptures qui dessinent ou dessins qui sculptent, une austérité assumée, une révélation tissée de Vide et de Plein.
Présence par l’absence.
Les ombres à l’intérieur de la structure et celles projetées sur le mur semblent générer des extensions imaginaires, comme un rayonnement de la forme sculptée (…) L’aura du dissimulé, de la disparition, de l’invisible est conceptualisée et révélée (Lóránd Hegyi).
Dans une époque bavarde et dispersée, qui favorise volontiers le foisonnement des images et la rutilance tapageuse des artefacts, je goûte à sa juste mesure l’œuvre concentrée, silencieuse, voire ascétique de Paul Wallach. J’aime son apparente pauvreté , la ténuité de l’expression, la banalité des matériaux (morceaux de bois et de tissu, bouts de ficelle, colle et clous apparents). J’aime sa façon de travailler avec les lieux les murs, l’espace, la lumière, le vide… et la manière singulière dont les œuvres dialoguent entre elles et avec les lieux qui les accueillent, leur manière de s’occuper des lieux plus que de les occuper, la place qu’elles prennent, immense, comme si leur présence dilatait l’espace. J’aime la façon dont leurs ombres, souvent presque blanches, les prolongent, creusant subtilement le mur ou le sol. (…) Sa sculpture se présente tel un dessin dans l’espace ou, plus exactement un dessin qui façonne, modèle et module l’espace. Un dessin qui génère de l’espace. Et c’est de cet espace autant que du dessin qui le constitue qu’il doit être question ; c’est un espace hospitalier, qui collabore avec la lumière, aussi précis que généreux ; un espace que nous sommes invités à arpenter (les figures des corps parmi les figures des sculptures), et davantage encore à habiter (être debout, dedans, devant, se déplacer, s’arrêter, regarder). Sur le mur, d’autres sculptures mais aussi des tableaux poursuivent l’édification du lieu et complètent l’expérience. Si les sculptures au mur, à l’instar de celles qui se trouvent dans le vide continuent de travailler avec l’espace et avec l’air, les tableaux, concentrés comme des icônes, ponctuent l’espace, arrêtent la course des corps, rassemblent le regard. (…)
Olivier Delavallade,
Extrait du texte En équilibre, dans le vide, catalogue de l’exposition WHERE WHAT WAS consacrée à Paul Wallach au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne en 2014, et en 2015 au Domaine de Kerguéhennec.
informations pratiques
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Du mardi au vendredi
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