EVI KELLER
Origines
Vernissage samedi 21 septembre 2024
Exposition du 21 septembre 2024 au 18 janvier 2025
Galerie Jeanne Bucher Jaeger, 5 rue de Saintonge, 75003, Paris
La traversée
La sensation intense éprouvée quand je m’avance vers une œuvre d’Evi Keller est, d’abord, celle d’une intensité de la vue. Etrangement, je ne vois pas devant moi mais « à l’intérieur de moi ».
La lumière qui se fait jour se construit grâce aux yeux qui se ferment, s’ouvrent, se renferment, et créent un regard renversé, quand nous cherchons à percevoir le réel qui ne se donne pas comme évidence. Cette Matière-Lumière est celle du dedans. Elle naît de ces allers-retours qui la font rayonner d’une source intérieure. Phénomène mental, conséquent à la perception comme à l’imaginaire qu’il induit. Eblouissement, tournoiement des surfaces, clarté d’un espace à l’autre.
Cette lumière interne est le début d’une aventure qui nous pousse à la recherche, un « rebond », à l’extérieur de soi. Où est-elle ? En cette forêt, ce volcan, cette orée, ou ce remuement de la nuit ?
Je m’avance vers elle mais puis-je la toucher ? N’est-ce pas cette question qui initie l’œuvre d’Evi Keller ? Cette lumière que j’ai en moi, comme un butin, un trésor, m’entraîne hors de moi. Je la saisis alors, et la partage avec d’autres, avec le cosmos qui nous enveloppe. Elle est le véhicule, l’anima, d’une toile, d’un tissu, d’une substance « synthétique » me permettant de l’éprouver dans ces moindres nuances, dans ces mouvements qui sont ceux d’une expansion et d’un passage. Cette lumière de l’œuvre qui est, à la fois, au cœur de soi et, très loin au-delà, comme l’un de ses films le suggère, nous emporte vers la beauté des lueurs, des « lucioles » comme vers l’émerveillement d’un soleil renversé.
La nature du corps est, alors, ce battement, cette respiration où le sujet est en équilibre, entre le plus profond de soi et l’espace sans bornes des galaxies qui le berce.
Les œuvres d’Evi Keller, Matière-Lumière, créent des vibrations vitales semblables à celles de membranes indissociables, de transparence en transparence. Ces peintures-reliefs ou ces substances infra-minces sont un champ de matières déchirées, pulvérisées, au sein de la peau des surfaces. Elles sont rougeoyantes comme le feu, somptueuses comme l’or ou d’un bleu profond : celui des eaux et de la nuit.
Ici, comme dans la « poétique » quantique, les ondes et les corpuscules sont de même nature. Ils ne cessent de faire trembler les terres et les mers où nous nous immergeons. Ici, la matière-lumière prend toute sa dimension. Elle n’est saisissable que si l’œil, l’esprit, le corps, l’émotion l’accueillent, grâce à l’art, sur une scène où chaque point qui s’allume est un être qui danse. Cette lumière n’est-elle pas celle qu’évoque Rainer Maria Rilke : « Elle qui tant nous ressemble et qui tourne et tremble autour d’un étrange appui ». Cet appui immémorial et cependant appelant le futur, n’est-il-pas l’œuvre même d’Evi Keller ?
Olivier Kaeppelin, juin 2024
BLEU
Le bleu d’Evi Keller n’est pas le bleu de l’océan.
Aucun corps ne s’y baigne. Il est immense
chœur de formes et de lumières.
Devant nous une porte sans bords, un appel, une promesse de plénitude et dangereuse cependant car le bleu est en feu.
Peut-on parler d’une eau qui brûle ou au contraire d’un ciel incandescent qui, s’il reconnaît la flamme en nous, nous y accueille comme une étoile parmi d’autres, solitaire, mais prête à jouer sa partition à l’appel du chœur dont j’entends la musique, bleu profond, obscur et transparent.
Olivier Kaeppelin
«Origines», pourquoi avoir donné ce titre à cette exposition ?
Le mot origines, extrêmement polysémique, a souvent été utilisé, il est présent dans toutes les activités intellectuelles humaines … Pour moi toutefois le titre « Origines » est devenu une évidence.
Bien sûr ce titre renvoie tout d’abord à la nature de mes œuvres, notamment à la métaphore du soleil, origine du monde, enseveli pendant des millions d’années, réanimé et transfiguré en œuvre d’art par mon cheminement Matière-Lumière. L’alchimie des œuvres incarne un moment originel, un retour à la source, qui révèle des choses propres à chaque être.
Mais « Origines » reflète aussi et surtout ce qui émerge dans la conscience du spectateur qui découvre mes œuvres. Ce titre s’est imposé à moi suite à de nombreux témoignages de personnes avec lesquelles j’ai partagé ma création Matière-Lumière. C’est cette notion d’un retour à la source, à nos origines, que ces personnes ressentent souvent et me confient lors de leurs rencontres avec l’œuvre.
C’est un manifeste secret, intime et personnel.
Alors que disent ces spectateurs ? Parfois ils disent peu, parfois plus… Certains, regardant l’œuvre, vont jusqu’à évoquer, qu’ils se sentent projetés ailleurs, dans un moment présent dont on ne peut situer ni le temps, ni l’espace. Un moment magique où l’immatériel se révèle… C’est la lumière qui interagit avec Matière-Lumière : au-delà de créer des matières multiples, elle donne un accès à l’immatérialité. Une expérience intime, qui peut aider à une acceptation ou du moins à une prise de conscience de ce processus de transformation universel dont nous faisons partie.
J’ai été très touchée par une phrase d’Olivier Schefer rencontrant ma création : « Il est des œuvres rares, douloureusement belles, qui font surgir un monde avant toute considération esthétique et formelle. Elles bousculent nos clivages théoriques et nos partages historiques. En leur présence, nous ne demandons pas :
« Est-ce beau ? » « Est-ce nouveau ? », mais plutôt « où sommes-nous ? Quand sommes-nous ? » Il y a ici quelque chose qui malmène nos habitudes esthétiques et notre confort de spectateur. »
Où sommes-nous ? Quand sommes-nous ?, et j’ajouterais, « Que voyons nous ? », traduisent la nature intime de la rencontre avec l’œuvre dans un moment présent, intemporel et originel qui nous renvoie à la question fondatrice de l’origine de l’univers.
Approcher mon œuvre façonne notre espace-temps personnel en le liant comme une évidence à l’histoire de l’univers. C’est in fine la conscience de l’œuvre qui nous guide dans la suite du voyage …
Quelles œuvres nouvelles réalisez-vous pour cette exposition ?
La matériologie de mes nouvelles œuvres a évolué. Je constate que les empreintes, caractéristiques de mon travail, se sontintensifiées, sont plus profondes (creusées) et prennent quasiment racine…
Elles fourmillent de lignes et de formes primitives dont les éternels processus de transformation animent des champs d’énergie ultra-condensés, mondes d’explosions, d’implosions, abris de galaxies entières.
Apparaissent des formes et des structures originelles ouvrant une infinité de possibles et nous permettant d’expérimenter le sens et la dimension protéiforme et multiple d’Origines. S’interroger sur le commencement, mais lequel ?
Une grande partie de mes nouvelles créations est fortement habitée par les couleurs primaires et notamment par un bleu profond… ce n’est pas tant le bleu des océans, mais plutôt le bleu d’une lueur cosmique, d’une luminescence, d’une incandescence bleue. C’est le bleu des soleils de feu dans les ciels étoilés de la nuit, là où la création recommence à chaque instant…
Ce sont les empreintes mystiques des reliefs planétaires et solaires, du feu, des cendres bleues, de l’or bleu, qui nous relient aux premières secondes de l’univers.
Une myriade de petits êtres organiques, exilés, bâtisseurs et messagers de vie, d’histoires et de mémoire… apparaissent pour disparaître, disparaissent pour apparaître à nouveau…
De la genèse géologique en passant par les cavernes de la préhistoire, ce sont des ruines d’un autre temps, des paysages exotiques, des lieux mystiques, c’est une exploration hors du temps et de l’espace de la profondeur des origines infinies, de la mémoire et du divin, du matériel à l’immatériel, du sensible à l’invisible…
Ce sont des créations qui nous transportent à l’origine des origines.
Est-ce une cosmogonie universelle ou propre à chacun ? Ou l’évidence d’approcher l’invisible qui constitue toute matière dont nous-mêmes ?
Quel parcours proposez-vous aux visiteurs de cette exposition ?
Je ne propose pas de parcours, mais conseillerais de prendre le temps de s’approcher de chacune des œuvres pour y entendre ce que la lumière souhaite lui révéler au moment de sa rencontre.
Un premier espace d’exposition est consacré aux cosmogonies bleues, empreintes des reliefs planétaires, étoiles bleues, feu bleu, cendres, or bleu…
Les autres espaces nous feront voyager plus près de notre monde, sur et dans les entrailles de la terre… où des esprits apparaissent… des histoires de mondes lointains, des batailles se racontent, des civilisations perdues renaissent… Il s’agit souvent de mondes ancestraux, chevaleresques, peuplés d’ermites et de prophètes.
Les œuvres seront à découvrir dans une vision de loin, mais surtout au plus près des matières changeantes et des esprits qui y habitent… C’est en fait la lumière, émergeant de chacune des œuvres, qui inspirera et rythmera la suite d’un voyage propre à chaque visiteur.
Extrait d’une interview d’Evi Keller, juin 2024
La galerie est heureuse de présenter la troisième exposition personnelle d’Evi Keller.
Evi Keller, artiste plasticienne allemande est, née en 1968, à Bad Kissingen. Elle vit et travaille à Paris. De 1989 à 1993 elle étudie l’histoire de l’art à l’Université Louis-et-Maximilien ainsi que la photographie et le graphisme à l’Académie de la Photographie de Munich, en Allemagne.
Sa démarche artistique interroge le principe cosmique de la transformation de la matière par la lumière. Dans l’ensemble de son œuvre sculpturale, picturale, photographique, sonore et performative, l’artiste n’a cessé de se consacrer à ce processus de transformation, réunissant sa complexité sous le terme de Matière-Lumière.
Matière-Lumière est le seul titre qu’Evi Keller donne à toutes ses créations des 20 dernières années.
Que toute vie sur terre soit imprégnée de l’énergie solaire a inspiré à l’artiste une vision qui unit la terre et le soleil et les fait évoluer dans un perpétuel devenir, dans le temps. Il était essentiel pour elle de puiser dans cette conscience et de trouver une nouvelle forme artistique pour matérialiser
le soleil et son interaction constante avec nous, et finalement, au-delà du symbole du soleil, d’incarner la lumière dans ses dimensions physiques et spirituelles. Par ses créations, l’artiste souhaite matérialiser cette lumière, la préserver, l’amplifier et surtout transmettre cette force cosmique, l’énergie du feu céleste. « Matière-Lumière incarne le cheminement d’une prise de conscience de la puissance de la lumière, non pas de la lumière extérieure, mais de la révolution d’une lumière intérieure dont le soleil est le miroir, pour s’enraciner dans une existence cosmique et devenir co-créateur d’un processus universel » dit l’artiste.
En 2023, Evi Keller a remporté le Premier Prix Carta Biancaet fut lauréate du Prix 100 Femmes de Culture. Elle réalisa, cette même année, la scénographie de l’Opéra Didon et Enée, de Purcell, en collaboration avec la chorégraphe Blanca Li et Les Arts Florissants, dirigés par William Christie (représentations au Teatros del Canal, Madrid, au Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, à l’Opéra Royal de Versailles et au Grand Théâtre du Liceu de Barcelona). Dans le cadre de la Saison d’Art 2022, le Domaine de Chaumont-sur-Loire, Centre d’Arts et de Nature exposa l’une de ses œuvres vidéo majeures, [Towards the Light – Silent Transformations], acquise à la galerie par la Maison Européenne de la photographie, ainsi qu’une création monumentale Matière-Lumière.