Cher Aguayo, nous avons fait avec passion du chemin ensemble depuis ce jour de 1953 où tu es arrivé à la galerie, 9 ter boulevard du Montparnasse. Palazuelo avait parlé de toi à Louis Clayeux, alors le directeur de la Galerie Maeght et celui-ci, proche par le coeur et par l’esprit de ce que Jeanne Bucher lui avait fait découvrir, t’avait d’emblée dirigé vers ceux qui pourraient le mieux te comprendre et t’estimer. Tu étais venu les mains vides et sans discours pour te mettre en valeur. Si tes connaissances en langue française étaient élémentaires, tu possédais déjà ce que révèle le grand autoportrait de 1968 : la vérité d’une présence.
Nous nous sommes retrouvés quelques jours plus tard dans un atelier près de Saint-Lazare, devant de grandes compositions nerveuses, intenses, aux éclats de jaunes et de violets pleins d’évocations de l’atmosphère des arènes. Cela venait d’Espagne, cela évoquait l’Espagne d’une manière non illustrative. Aujourd’hui encore, retrouvant Fiesta, Parade ou la série des Corridas, nous sommes séduits par la dramatisation de l’espace exprimé dans un style « abstrait », musicalement abstrait.
Puis, réflexion faite et connaissant désormais tes premières productions de Saragosse comme Calavera ou Calas negras, il nous paraît évident que tes Corridas représentaient bien davantage qu’une évocation folklorique ou qu’une représentation d’un spectacle mythique. Tu réglais, pour toi-même et par-devers toi-même, un rapport avec la mort, avec la gravité de la mort, avec la mort acceptée comme rituel ; avec la mort infligée. Pour toi aussi, comme l’écrit le poète « il était cinq heures du soir… » ; Tu avais connu l’heure du crime et la dimension du silence qui l’accompagne. Ce que nous découvrions dans ces grands tableaux dynamiques, ce qu’inconsciemment nous étions amenés à subir, c’était cette charge de vérité que ta pudeur se refusait à nommer. Elle nous troubla assez, ce jour-là, pour t’accorder d’emblée notre confiance.
Jean-François Jaeger
Les petits formats, exposés ici pour la première fois, qu’accompagnent quelques tableaux plus importants rendent hommage à un artiste autodidacte, solitaire et silencieux. Fermín Aguayo est brutalement emporté en 1977, il y a quarante ans. Il laisse une oeuvre dense, virtuose et habitée d’une profonde présence et d’une troublante humanité.
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