Fermín Aguayo, Velasquez, 1972
Huile sur toile
108 × 77 cm
Photographie de D.Bordes
Fermín Aguayo, Pigeon, 1963
Huile sur toile
73 × 60 cm
Photographie de D. Bordes

Fermín Aguayo est l’un des peintres espagnols les plus remarquables de la seconde moitié du XXe siècle. Né dans un village de la vieille Castille en 1926, il fait très tôt l’expérience douloureuse de la guerre civile espagnole. En 1936, son village natal tombe en effet aux mains des franquistes, son père et deux de ses frères sont assassinés alors que Fermín et sa mère parviennent à s’enfuir. C’est le début d’un cheminement sur les routes d’Espagne avec une famille de bohémiens qui gagnent leur vie en faisant le portrait des villageois. Leur virtuosité fascine alors Fermín qui s’en inspire et peint ses premiers tableaux en 1945, utilisant toujours de l’huile de noix, la moins onéreuse, qui a la particularité de sécher très lentement et de foncer les couleurs. Autodidacte et discret, Aguayo trouve progressivement sa place dans les milieux culturels et artistiques les plus avancés de Saragosse, développant un univers plastique aux antipodes de l’esthétique conservatrice. En 1948, il participe à la première exposition du groupe Pórtico, le premier collectif espagnol adoptant l’abstraction comme forme d’expression, à une époque où l’académisme et certains «expressionnismes» constituent la tendance dominante dans le panorama artistique de la péninsule.

Les recherches d’Aguayo au sein du groupe, avec lequel il participe à différentes expositions à travers l’Espagne, le conduisent à expérimenter diverses formulations abstraites, avec lesquelles il remporte de nombreux succès mais suscite également d’acerbes critiques. Après la dissolution du Groupe Pórtico, Aguayo décide de s’installer à Paris en 1952, fuyant l’atmosphère artistique étouffante de Saragosse. Commence alors une aventure bien plus âpre, où il reprend ses recherches picturales en solitaire avec le seul soutien de la galerie Jeanne-Bucher, de sa femme et de quelques amis : c’est l’époque de ces compositions abstraites morcelées au couteau, en perspectives plongeantes et centrées, dans les tonalités sourdes des terres arides de Castille. La peinture d’Aguayo revêt une fluidité nouvelle, une transparence laissant entrevoir une vibrante intériorité.

Les années 60 sont marquées par un retour à la figuration, années fertiles à l’origine de tableaux essentiels. Aguayo s’est tourné vers les grands maîtres de la peinture à travers les siècles (Vélazquez, Rembrandt, Titien, Tintoret, Ribera, Goya, Manet et Van Gogh), auxquels il s’apparente dans son passage de peintre abstrait à peintre de la réalité, dans le sens d’une présence ressentie en profondeur, d’une transformation de la matière en quelque chose de vivant, ainsi qu’il le dira lui-même.

C’est l’époque des « paysages » castillans, d’où émane l’intense chaleur de l’Espagne. Le peintre fait alors retour sur sa trajectoire, affirmant : Toute ma période abstraite est une réflexion sur le fait de peindre et c’est à partir de là que j’ai construit une figuration afin d’introduire pour celui qui regardera le tableau une relation directe entre le monde réel et la peinture. Plus la figuration est crédible, plus la peinture est pure… Loin des modèles contemporains offerts par Picasso, Balthus ou Hélion, il est plus éloigné encore des approches du réel défendues par le Pop Art ou les Nouveaux Réalistes, qui lui sont radicalement opposées. Il se pose non pas comme un peintre figuratif et descriptif mais comme un peintre de la perception et de la présence.

Au fil du temps, il noue des relations avec d’autres artistes et critiques établis à Paris. Dans cette ville, son travail commence à être régulièrement exposé, tout comme dans d’autres villes européennes et à New York. Cependant, Aguayo reste toujours à l’écart de toute mode et montre son affection pour son pays natal et pour les grands maîtres de la peinture universelle, qui hantent nombre de ses œuvres.

Fermín Aguayo est brutalement emporté en 1977 ; il laisse une œuvre virtuose et habitée par une profonde et troublante humanité. Les Nocturnes, thèmes récurrents, voire obsédants, de ses dernières années, semblent exprimer sa vision de la vie et de la mort, dans un langage particulièrement codé. Au fil des tableaux, dans l’obscurité de la nuit, les humains sont devenus des ombres dont les formes empruntent leur matérialité au baroque, référence d’un artiste à ses glorieux aînés comme Zurbaran ou Vélasquez.

Une douzaine d’expositions lui seront consacrées à la galerie qui le soutient également au sein d’institutions internationales. L’artiste fait aujourd’hui partie des collections du Musée Reina Sofia, du Museo Patio Herreriano, du Musée Fabre (Montpellier), du Musée Cantini (Marseille), du Musée des Beaux-Arts de Dijon, du CNAP, de la Fondation Planque, etc…

La dernière rétrospective majeure en date a été organisée par le Musée Reina Sofia en 2005 et par la galerie en 2017.