2023

Scénographie de l’Opéra Didon et Enée de Purcell

Evi Keller

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Opéra en trois actes sur un livret de Nahum Tate, créé à Londres en 1689.

Peu d’opéras baroques ont connu un tel destin et ont suscité tant d’émotions à travers les siècles. Composé par Purcell – celui qu’on nomma également l’Orpheus britannicus – ce chef-d’œuvre absolu de la musique baroque anglaise fait le récit des amours sincères mais malheureuses d’Enée, futur fondateur de Rome, et de Didon, reine de Carthage. Ce mythe d’inspiration antique touche de façon particulière la singularité baroque : dans l’opéra tel qu’il s’épanouit au XVIIe siècle, c’est la femme bafouée qui prend le pas sur l’homme d’action. Archétype de la trahison amoureuse, Didon inspirera plus d’une centaine d’œuvres lyriques aux compositeurs occidentaux, de Cavalli à Britten. Mieux que tout autre, elle donne à entendre le chant déchirant de l’âme brisée – comme dans le sublime lamento final écrit par Purcell ( When I am laid in earth ), aujourd’hui entré dans l’imaginaire collectif du désespoir.

Très ramassé dans sa forme, Didon et Enée est un opéra d’une étonnante variété, mêlant pastorale, comédie burlesque et tragédie. Il s’agit aussi de l’une des pièces les plus chéries de William Christie et des Arts Florissants, qui l’ont souvent donnée en concert et dont la dernière version remonte à 2009.

Evi Keller est invitée à réaliser la scénographie de l’Opéra Didon et Enée, de Purcell, en collaboration avec William Christie, Directeur musical de la formation Les Arts Florissants, et la chorégraphe madrilène Blanca Li, membre de l’Académie des Beaux-Arts, déjà bien familière des Arts Florissants, avec qui elle a coopéré pour le spectacle Les Indes galantes à l’Opéra national de Paris en 1999. Ce projet sera également porté par de jeunes solistes exceptionnels.

 

Coproduction Opéra Royal / Château de Versailles Spectacles, Teatros del Canal, Teatro Real de Madrid, Théâtre Impérial de Compiègne, Gran Teatre del Liceu

 

Description scénographie :

Dans la scénographie que j’ai conçue pour l’Opéra Didon & Enée d’Henry Purcell et Nahum Tate, j’ai souhaité aller au-delà de la création d’un décor en immergeant l’Opéra dans une œuvre d’art totale fusionnant le lieu, la musique, le chant et la danse. Cette scénographie est habitée par des créations que je nomme Matière-Lumière et qui incarnent le principe cosmique de la transformation de la matière par la lumière. Elle se déploie sous la forme de trois voiles monumentaux, dont un triptyque translucide et trois sculptures-costumes pour les interprètes principaux.

La Lumière est, selon moi, la plus belle forme d’expression de l’amour, et la source primordiale de la rencontre des deux âmes Didon et Enée. Leur histoire est transcrite par une «Performance», interprétée par la lumière qui porte leurs expériences personnelles à une échelle universelle. La vibration organique d’une lumière fossilisée, devenue peau vivante qui les enveloppe et respire, crée une relation intime entre les spectateurs et l’histoire d’amour de Didon et Enée à l’échelle physique, psychique et spirituelle. Par son écriture dynamique et évolutive dans la matière subtile de l’œuvre d’art, la lumière nous relie aux esprits des deux âmes. Elle les guide, les anime et, par la mort de Didon, sublime leur amour en un amour universel et éternel.

La partition jouée par la réflexion, la réfraction, l’absorption et la transmission de la Lumière sur les œuvres Matière-Lumière, permet une infinité de regards possibles selon l’œuvre et la position du spectateur. Les voiles Matière-Lumièreainsi que les sculptures-costumes, sont en perpétuelle évolution, allant du règne minéral, végétal, animal, humain jusqu’au divin. Apparaissant et disparaissant dans la lumière, ils créent un lien envoutant, en offrant un rapport quasi charnel aux corps des amants et au chant. Il ne s’agit pas de la lumière qu’on projette sur scène mais de la lumière qui émane des œuvres et des êtres.

Les sculptures-costumes fusionnent les chanteurs qui les habitent avec l’ensemble des éléments scénographiques. La lumière permet de transformer ces sculptures, en particulier celle que revêt Renato Dolcini qui interprète Enée mais aussi, drapée dans l’obscurité, la Grande Sorcière. L’immobilité des chanteurs revêtus des sculptures-costumes leurs confère une attitude hiératique qui contribue à inscrire l’opéra dans une dimension intemporelle.

Le triptyque de voiles translucides, matière dissoute et gravée par la lumière, est l’expression de mondes lointains, organiques et vivants. Tels des esprits qui s’incarnent, leur feu céleste amplifie la force cosmique du chant.

La première œuvre, monolithe de braises et de cendres est prémonition : elle évoque la mort de Didon dans le noir absolu d’une lumière pétrifiée. Dans le second voile, elle se transforme en paysage lumineux d’un monde sensible en devenir. Les esprits de la nature y palpitent, leur feu céleste sublime et amplifie la force cosmique, la magie éternelle de la musique et de la danse.

La grande surface réfléchissante de l’eau noire qui couvre le sol est la matrice du voyage initiatique… portrait miroir, face à face avec soi-même… l’eau noire nous lie avec le ciel et la terre, nous approche de l’unité. Les reflets du voile dans la profondeur de l’eau, la fonte du gel des cristaux de l’âme et l’immersion dans l’infini de l’univers entrent en résonance avec la mort de Didon, traversée du miroir. Tel un gardien du seuil qui seul à connaître le secret, le monolithe noir témoigne de l’empreinte de leur passage, de toute l’histoire.

Informations techniques :

Dans le processus de création de l’œuvre Matière-Lumière, le principe des quatre éléments, feu, eau, terre, air, est omniprésent. J’associe entre autres des pigments, de l’encre, de la cendre, du vernis sur de fines couches de films transparents que je superpose, dessine, peint, grave, gratte, efface, brûle et expose aux rayons du soleil, à la pluie, au vent, recouvre de terre, dans un cycle de nombreux mois de travail continu.

Représentations

17-22 juin 2023 — Liceu Barcelona, Espagne

 

Direction artistique :

Les Arts Florissants Chœur et orchestre

Direction musicale — William Christie

Compagnie Blanca Li

Mise en scène et chorégraphie — Blanca Li

Dramaturgie — Pierre Attrait

Scénographie, Création Matière-Lumière — Evi Keller

Sculptures – Costumes pour chanteurs solistes — Evi Keller assistée par Laurent Mercier

Costumes — Laurent Mercier

Éclairage — Caty Olive

Assistante à la scénographie — Chloé Bellemère
Assistantes aux costumes — Leila Moli et Cristina Pérez de Arriaga
Assistance éclairage — Manuella Rondeau