« Observateur, flâneur, philosophe, appelez-le comme vous voudrez ; mais vous serez certainement amené, pour caractériser cet artiste, à le gratifier d’une épithète que vous ne sauriez appliquer au peintre des choses éternelles, ou du moins plus durables, des choses héroïques ou religieuses. Quelquefois il est poète ; plus souvent il se rapproche du romancier ou du moraliste ; il est le peintre de la circonstance et de tout ce qu’elle suggère d’éternel »
Par ces mots, publiés dans un quotidien en 1863, Baudelaire dressait le portrait du peintre de la vie moderne.
70 ans plus tard, ce flâneur flâne toujours, cette fois raconté par Walter Benjamin, dans l’Europe fragile de l’entre-deux guerres. C’était il y a presque un siècle, les flâneurs ont continué de flâner, non pas seulement dans une Europe fragilisée mais aussi bien au-delà, dans un monde devenu accessible y compris dans ses confins les plus reculés. Guillaume Barth s’inscrit dans cette lignée de flâneurs.
Des déserts de sel de Bolivie aux peuples des rennes de Mongolie, du Québec au Sénégal en passant par l’Iran, Guillaume Barth poursuit une trajectoire peu ordinaire, qui décourage une lecture « classique » du parcours du jeune artiste – école / diplôme / résidence / exposition / publication… – car ce parcours vient s’entrecouper de moments mystérieux, plus proches de l’anthropologie que de la pratique artistique.
Ces moments gardés secrets par l’artiste viennent nourrir une démarche, qui regarde volontiers du côté du spirituel tout en s’incarnant dans des matériaux simples qui incluent aussi une dimension de fragilité en invitant aussi le sel, des arbres vivants ou encore des pièces de tissus. (…)

Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS Strasbourg, extrait de la présentation de l’Axis Mundi, siège de la chaîne ARTE 2018.

Guillaume Barth est né en 1985 à Colmar, il vit et travaille entre Sélestat en Alsace et Amatlán de Quetzalcoatl au Mexique. Il est diplômé du Studio National des Arts contemporains du Fresnoy en 2021, diplômé de l’option Art de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg en 2012. Il est lauréat du prix de la fondation Martel Catala pour le projet de livre de la Nouvelle forêt en 2023, lauréat du prix Talents Contemporains de la Fondation François Schneider à Wattwiller (FR) en 2019, lauréat du prix de la Fondation Bullukian à Lyon (FR) en 2017, ainsi que du prix Théophile Schuler (FR) en 2015. Il a participé au 61ème Salon de Montrouge à Paris (FR) en 2016.

Ses œuvres ont été présentées dans différents pays, en Europe, mais aussi en Iran, au Canada, en Chine et récemment au Mexique. La Galerie Jeanne Bucher Jaeger présente l’artiste pour la première fois lors d’Art Paris 2024.

Depuis 2004, Guillaume Barth s’intéresse au safran, à sa symbolique, aux propriétés et vertus de sa fleur, le crocus sativus. Des expériences personnelles l’ont motivé, partant d’une nécessité profonde, à s’intéresser plus intensément à cette fleur : recherches, voyages, préparations, il va même jusqu’à en cultiver. Lors d’un voyage à l’Est de l’Iran (2018), l’artiste a vu comment le désert de la région de Khorasan se métamorphose, pour une courte période, en une mer de fleurs violettes.

« En suivant une intuition, sur les traces de l’origine de certains poèmes soufis, j’ai découvert les champs de safran dans le désert de Khorasan en Iran. À l’automne, le paysage désertique se transforme en un écrin déconcertant de couleur mauve. Une odeur séduisante se déploie sur des kilomètres à la ronde. Cette région est depuis longtemps la plus grande surface de culture de cette fleur. Khorason signifie en persan « là où le soleil est né. » L’histoire de la plante a commencé de manière énigmatique sur l’île de Santorin en Grèce il y a plus de 5000 ans, puis la fleur a voyagé sur le pourtour méditerranéen en allant vers l’Asie. La culture s’est répandue par la suite en Europe et s’est développée plus tard en Amérique. Le crocus est symbole de vie et régénération. Il fleurit et est directement récolté pour en extraire ses précieux stigmates. Les plus vieilles mentions du safran rendent compte de ses propriétés médicinales et thérapeutiques. Pourtant, aujourd’hui la culture du safran sert majoritairement à une utilisation gastronomique. « La préciosité de l’épice n’est pas simplement liée à son coût de production. Symboliquement la fleur a bien plus de valeur. Elle a traversé le temps et les continents, exerçant un fort pouvoir d’attraction et d’inspiration sur l’homme. » L’artiste s’intéresse aux mythes et récits faisant mention de cette fleur ainsi qu’à son utilisation rituelle, spirituelle et médicinale. « Dans la mythologie grecque, on raconte que Krokus, un très bel homme amoureux d’une nymphe nommée Smilax, jouait au lancer du disque avec Hermès, son ami sur l’Olympe. Malheureusement il fut mortellement blessé à la tête durant le jeu. On dit que le sang de Krokus coula et fertilisa la terre. À cet endroit, une petite fleur mauve est apparue. Cette fleur porte depuis le nom de « crocus » et est le symbole de la vie et de la renaissance.

Felizitas Diering

Imaginé à partir de l’interprétation des carrés magiques soufis et de l’étude des talismans, en utilisant de l’encre de safran pour imprimer l’alphabet de fleurs sur de la soie, l’œuvre ARUUNOMMNA, présentée lors d’Art Paris 2024, est un Talisman d’Amour. La pièce a été développée techniquement avec l’expertise précieuse de Juliette Vergne, artisan/artiste spécialiste des teintures végétales et Hélène Démoulin, designer/prototypiste.

Mes idées se construisent depuis des lieux différents, ont des formes originales qui semblent s’éloigner les unes des autres, mais à y regarder de plus près, leur part d’invisibilité se recouvre dans un même ensemble. Depuis une petite décennie, les lignes de forces formelles et sémantiques qui émergent de mes sculptures, formes simples et formes de la nature, motifs de la sphère, du cycle et de l’ouverture, phénomène d’absorption et de réflexion visuelle, exploration géographique, fictions réalisées, récits transculturels, inscription dans les paysages, apparition et disparition, floraison et enracinement tentent de faire sens à travers une approche aussi sensible, réflexive qu’artefactuelle. Elle se caractérise, avant tout geste, par une capacité attentionnelle aux éléments du monde Vivant.

Guillaume Barth, 2023

https://guillaumebarth.com/fr