Après une enfance passée dans son Lot natal, Roger Bissière abandonne rapidement ses études de droit pour se consacrer à la peinture qu’il a découverte et pratiquée dès l’adolescence ; il fréquente ainsi les l’Ecole des Beaux-Arts à Bordeaux puis à Paris où il emménage en 1910. Après de courts séjours à Londres et Rome, il s’établit définitivement dans la capitale où il se consacre au journalisme en tant que critique d’art, tout en continuant à peindre. Ses premières expositions datent de la période d’avant guerre, mais s’intensifient à partir de 1914, lui permettant de nouer des liens d’amitié avec Lhote, Gris et surtout Braque, sur lequel il écrit la toute première monographie.
Il présente ses œuvres lors des premières expositions de l’avant-garde parisienne, notamment au Salon d’Automne, et devient, après la guerre, un membre clé de la nouvelle École de Paris. A partir de 1921, date de sa première exposition monographique, il présente régulièrement son travail, devient professeur à l’Académie Ranson et se lie avec des artistes comme Mannessier, Le Moal ou Bertholle, développant une expression cubiste dans laquelle la figure humaine n’est jamais absente, bien qu’il s’oriente vers l’abstraction. Cette orientation résulte à la fois de l’influence du néo-classicisme de Picasso et de ses propres recherches sur la survie du cubisme. Il est alors, en France, un des maîtres incontestés de la nouvelle peinture.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Bissière fait pourtant le choix de se retirer dans le Lot, à Boissiérette, et cesse de peindre durant toute la durée de la guerre. Bien que volontairement éloigné des circuits officiels, il n’est cependant jamais absent de la scène artistique, car ses écrits et son œuvre
ont acquis un magistère qui font de lui une des figures les plus influentes de l’art de son temps. Il renoue avec les expositions en présentant en 1947, chez Drouin, un ensemble de tapisseries et de peintures récentes. Trois ans plus tard, une lourde opération le contraint à travailler sur des toiles de petits formats : c’est à la galerie JeanneBucher, dirigée par son ami Jean-François Jaeger, qu’il décide de montrer ce travail essentiel, à l’origine d’un compagnonnage qui ne cessera plus. Ces « Images sans titre » exposées en 1951 marquent une étape fondamentale aussi bien dans l’histoire de la galerie que dans la carrière du peintre, qui reçoit l’année suivante le Grand prix national des Arts. Un public enthousiaste découvre alors cette peinture composée de taches colorées, dans les tons mats de la tempera à l’œuf si souvent pratiquée au Moyen-Age. Revenu à la peinture à l’huile en 1954, Bissière bénéficiera d’une douzaine d’expositions monographiques à la galerie. Preuve de son importance sur la scène internationale, il participe en 1955 à la première Dokumenta. Un nouveau champ d’exploration s’ouvre à lui à la fin des années 50, lorsqu’il réalise, en Suisse, les vitraux des églises de Develier et Cornol. Mais c’est en 1960 qu’il crée son chef-d’oeuvre : les vitraux de la cathédrale Saint-Etienne de Metz, qui est la première cathédrale à accueillir en France l’art non figuratif. La dernière présentation du vivant du peintre, en 1964 — quelques jours avant la Biennale de Venise au cours de laquelle il recevra une mention d’honneur – sera « Journal en images », série d’une cinquantaine de petits panneaux d’aggloméré réalisés à la suite du décès de son épouse Mousse.
L’œuvre de Bissière a fait l’objet d’une intense promotion en France et à l’étranger ; Jean-François Jaeger a ainsi placé plus d’une soixantaine de chefs-d’œuvres dans les plus grandes institutions européennes. Exposé dans plusieurs musées du monde entier, son œuvre a aujourd’hui intégré nombre de collections muséales internationales et continue d’être montré, dernièrement au musée de Lodève pour une grande rétrospective à la faveur du 50ème anniversaire de sa disparition. Figure incontournable de l’histoire de l’art, Bissière en constitue un des jalons les plus importants afin de saisir l’évolution esthétique qui marque profondément le XXème siècle, et permet notamment d’en comprendre le mouvement par-delà la rupture de la Seconde Guerre mondiale.